Les souvenirs du Tet
Le” têt”! Le” têt”! Ce mot résonnait comme un son de cloche magique dans mon coeur, quand enfant encore, je vivais au sein de ma famille, dans un jolie petit village vietnamien. Le” têt”! le” têt”! comme tous les enfants du Viet-Nam, je l’attendais, je l’évoquais, je l’implorais pendant toute l’année…
Avec quels battements de coeur, quels frissons de joie, quel long cortège d’espoir je le vis venir, chaussé des bottes de Génie tutélaire, coiffé du chapeau ailé des mandarins, drapé de son manteau d’or et d’argent avec d’interminables rouleaux de pétards, des boîtes de bonbons, des coiffé de jouets… Et avec quelle mélancolie, quel regret, quelle tristesse, je le vis s’en aller avec les derniers crépitements des pétards, avec les dernières volutes d’encens, avec les derniers pétales des narcisses!…
Le “têt”! ce mot me reviens aujourd’hui comme un rêve, un trop beau rêve qui s’est évanoui et qui, plus jamais, ne refleurit dans mon coeur! Mais que d’images, que de silhouettes, de voix, de souvenirs, se réveillent comme des fantômes dans ma mémoire, chaque fois que reviens cette époque enchantée de mon enfance!
Le Tet traditionnel
Je vois papa debout devant l’Autel des Ancêtres, les bâtonnets d’encens allumés entre les mains, réciter sa prière… je vois maman dans sa jolie tunique de mariée, scintillante de perles et de diamants, nous distribuer, avec des regards tendres, les cadeaux de Nouvel An… je vois mes frères habillés de longues tuniques, coiffes de turban satin se prosterner, le front contre terre, devant le sanctuaire doré des pagodes et des temples… Je vois mes soeurs, coquettes et souriantes, préparer des centaines de mets savoureux et appétissants, nous apporter dans des plateaux incrustés de nacre, des pâtisseries, des confitures de toutes sortes… Je vois des volutes d’encens monter, en forme de dragons, des brûle-parfums, à travers les branches fleuries des narcisses… Je vois l’Espoir et le Bonheur, assis sur le dos phénix, s’élever avec le parfum du santal et des prières au-dessus des chaumières, des pagodes, des temples de mon pays…
Le”Têt”, c’est la fête du Nouvel An. C’est, pour le peuple vietnamien, la fête du Renouveau, la fête de L’Espérance, la fête du Pardon, de la Réconcillation. C’est la fête du Repos bien mérité, de la Paix, de la Joie et du Bonheur retrouvés! Ce sera la fête de I’Indépendance, de la Liberté et de I’Amitié!…IL n’existe nulle part une fête aussi grande, aussi belle, aussi ancienne, aussi populaire que celle-là! La fête du”Têt” existe au Viet-Nam depuis” l’ouverture du Ciel et de la Terre”, et elle conserve jusqu’à nos jours les mêmes coutumes, les mêmes traditions, les mêmes rites. Tous les ans, à cette époque, le peuple vietnamien, avec ferveur, avec joie, avec enthousiasme, célèbre le”Tet”. Cette fête revêt partout, à la campagne comme en ville, la même solennité, le même faste, la même somptuosité…Le paysan, l’ouvrier, le petit fonctionnaire, le mandarin et I’Empereur lui-même y attachent le même intérêt; la même importance.
La préparation du Têt
Un mois avant la fête, on remet à neuf sa maison, on la décore, on l’orne selon ses moyens et ses possibilités. Chez les riches, on voit s’aligner à côté des panneaux d’ébène incrustés de nacre, les broderies rutilantes d’or, les bronzes les plus reluisants, les porcelaines les plus anciennes et les plus rares. Chez les humbles, on voit collés sur les cloisons, des sentences en caractères chinois, des dessins sur papier d’argent ou d’or… On se paie les plus beaux vêtements, les plus riches cadeaux. On prépare des confitures, des pâtisseries, des pâtés… Pour le “Têt”, on dépense toute l’économie de I’année… Pendant tout un mois, le peuple vietnamien ne vit que pour le “Têt”, que dans l’attente du ”Têt ”…
Mais voici le “Têt” qui arrive avec son sourire enchanteur! A la première lueur de l’aube, d’interminables crépitements de pétards se répondent de maison en maison,de chaumière en chaumière, de quartier en quartier, de village en village, de ville en ville. Et les pétards grondent avec la joie des enfants et l’espoir des grandes personnes. Et pendant tout le premier mois de l’an, le pétard crépite et gronde sans arrêt… On allume les cierges, on brûle bâtonnets d’encens, on bat le tam-tam, on sonne les cloches, et agenouillés devant l’Autel des Ancêtres, devant les sanctuaires des pagodes et des temples, on implore leur aide et leur protection pour l’année nouvelle. On rend visite à ses parents proches et lointains, à ses voisins et amis.
On se souhaite mille et mille voeux. Voeux de bonheur, voeux de prospérité voeux de longévité, voeux de fécondité. On se gave de riz gluant, de porc rôti, de boeuf bouilli, de poulet farci, de pâtisseries, de gâteaux, de friandises… On se grise d’alcool parfumé au jasmin, à lagentiane. Sur des cheveux, dans des pousse-pousse, dans des palanquins, hommes,femmes, vieilards, jeunes gens et jeunes filles, en file indienne, se rendent aux pagodes et aux temples. Pendant que les grandes personnes agenouillées devant les sanctuaires rutilant d’or et d’argent, demandent à Bouddha et aux Génies le bonheur et la prospérité, jeunes gens et jeunes filles échangent des paroles d’amour et se lancent des confetti et des serpentins.
Dans toutes les rues, dans toutes les ruelles, des processions de lanternes, des danses de licornes et de dragons, des courses aux flambeaux, des jeux de balançoires, des combats de coqs, de taureaux, de buffles et d’éléphants sont organisés. Dés séances de théâtre et cinéma en plein air se déroulent dans tous les quartiers, dans tous les hameaux. Et la fête, gaie, bruyante, se prolonge jusqu’au deuxième mois, alternant les visites aux tombeaux et les pèlerinages aux lieux saints.
Le peuple vietnemien célèbre la fête du”Têt” avec tant d’âme, de coeur et de foi que celle-ci devient, avec le temps et les traditions, la fête la plus populaire, la plus belle d’entre toutes. Mais dès que la fête est terminée, le peuple vietnamien, patiemment, courageusement, se remet au travail et ne connaît plus de repos.
Fête du Renouveau et de l’Espérance, le”Têt” deviendra la Fête de la Paix, de la Concorde, de I’Indépendance et de l’Amitié!…